Le 17 avril 2016 a eu lieu la cérémonie annuelle au cimetière du Père-Lachaise à Paris, devant le monument de Bergen-Belsen.
Ci-dessous le discours de notre présidente, Francine Christophe :
Mesdames et Messieurs les autorités civiles et militaires ou leurs représentants,
Mes chers camarades,
Nous le savons, Bergen-Belsen était un camp un peu à part. On l’appelait « camp de séjour », et pourtant, lorsque les télés du monde entier veulent montrer l’horreur des camps, c’est celui-là que l’on montre.
En effet, bien des déportés y sont venus pour mourir. Nous saluons la présence de quelques-uns de leurs enfants. Je vois ici Anny Malroux dont le père fut l’un des « quatre-vingt » à ne pas voter les pleins pouvoirs à Pétain. Nous avons le triste privilège d’avoir à Bergen-Belsen deux députés qui y sont morts : Augustin Malroux et Claude Jordéry.
Je vois aussi Gérard Desmeules dont toute la famille et le père en particulier ont laissé de grands souvenirs de résistance à la ville d’Alençon.
Saluons maintenant ceux qui représentent aujourd’hui le Mémorial de notre camp, le Doktor Monika Gödecke, si active et dévouée, toujours présente et efficace, et Janine Doerry, elle aussi dévouée, auteur d’une thèse fort savante. Elles représentent toutes deux monsieur Jens Wagner, le Directeur.
Saluons Pascal Joseph que nous connaissons depuis si longtemps et nous savons pouvoir compter sur lui au Ministère. Albert Bigielman, l’appréciait tant.
Saluons Monsieur André Rakoto, de l’O.N.A.C.- Paris, qui est venu à notre Assemblée Générale, puis au déjeuner qui a suivi le lendemain des attentats, sachant qu’il était mobilisable immédiatement si les choses tournaient encore plus mal.
Saluons monsieur Philippe Allouche, directeur de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, que nous remercions pour son aide précieuse. A propos de cette Fondation, ayons une pensée pour Simone Veil, que nous ne verrons plus.
Saluons l’A.F.M.A. en la présence fidèle de monsieur Lucien Tinader.
Saluons Jean Laloum, historien et grand ami, qui représente le C.N.R.S.
Saluons les Oubliés de la Mémoire qui nous prêtaient leur drapeau quand nous n’en avions pas encore.
Madame Vieu-Charrier, Adjointe à la Maire de Paris, tiraillée entre toutes les cérémonies auxquelles elle doit se rendre, et qui nous adresse ses bonnes pensées.
Et maintenant, saluons la présence du colonel Bever, représentant l’Ambassade de Grande-Bretagne. L’Imperial War Museum de Londres a un département émouvant réservé à ce camp libéré par l’Armée Britannique. Cette même armée qui nous a reçus bien des fois à Bergen-Belsen sur le site et… nous a même nourris.
Et nous avons le plaisir d’accueillir les représentants de l’Ambassade de Russie, le lieutenant-colonel Orlov et madame Sofia Sitnikova, en effet, une partie de nos survivants fut délivrée par l’armée de ce grand pays.
« Yanié paniémayou parouski », voici un petit souvenir de nos deux mois passés avec les soldats soviétiques. Je me souviens avoir dit hreb et spassiba.
Merci aussi à la Mairie du 20ème qui nous reçoit si bien et organise l’intendance !
Je ne peux terminer sans citer notre Samuel Pintel et le travail qu’il accomplit. En effet, je ne veux pas cesser de témoigner, tant que nous sommes là, nous devons parler, agir. Ces deux dernières semaines, c’était presque chaque jour, et je vais bientôt partir au lycée Charles de Gaulle de Londres. Puis à la télévision d’Amsterdam (nous avions tant de Hollandais au camp). Au retour, je vais à Marseille.
Vous n’imaginez pas ce que fait Samuel et je vous demande de l’applaudir.
Le jeudi 7 avril, en présence de notre porte-drapeau, nous avons ranimé la flamme à l’Arc de Triomphe, cérémonie magnifique ce jour-là dont nous avons bénéficié. L’Armée de l’Air et son Général, la grande fanfare des pompiers, des militaires délégués de toutes les Armes et un groupe conséquent des Anciens Combattants de la Sarthe.
Raymond Riquier avait convié plus de quarante collégiens pour lesquels ce fut une véritable leçon de citoyenneté. Ils étaient très impressionnés. Merci Raymond.
On le sait, notre Amicale est très petite.
Bien des déportés terminèrent leur périple à Bergen-Belsen, mais leur attachement reste leur premier camp avec leurs camarades. Ils ne s’inscrivirent pas chez nous, ayant parfois séjourné très peu de jours avant leur libération.
Il y a donc peu de Bergen-Belseniens « de souche ». Paradoxalement, il y a parmi nous plus de survivants que dans les autres associations, car il y avait à Bergen-Belsen plus d’enfants et d’adolescents laissés en vie.
Notre Amicale créée dès le retour, disparue et reparue grâce à Albert Bigielman qui nous a tous aidés, au Général d’Astorg, si droit, et à l’ardente Madame Montserrat, tous les trois si efficaces en cette matière.
Nous avons, l’année dernière, célébré les 70 ans de notre Libération. Nous n’allons pas, bien sûr, célébrer les 71 ans, mais y penser.
C’est-à-dire, penser à ce que fut 1946, mais aussi les années suivantes.
Contrairement, à ce que la jeunesse, dans les écoles, s’imagine, les années de retour à la liberté ne furent pas le bonheur complet.
Il y a les familles qui attendaient encore un retour improbable, inespéré, de l’être cher, et qui devaient s’habituer à son absence. Absence qui entrainait aussi parfois de grosses difficultés matérielles.
Il y le cas de ceux qui mouraient libérés. 13000 dans notre camp. Certains au moment du retour. Une sorte d’injustice très spéciale dont toute une vie ne suffit pas pour se consoler.
Ce fut le cas de nos amis les frères Placek, dont la mère mourut juste au moment du retour.
Enfin, les survivants, certains se retrouvèrent en sanatorium pour deux ans ou plus. Après la « très spéciale » discipline du camp, celle du sana était dure à accepter. Ce fut le cas de Victor Pérahia.
Il y eut les survivants incapables de reprendre leur métier, trop fatiguant pour des très affaiblis. Des survivants qui retrouvaient l’indifférence, voire la critique. D’autres qui ne retrouvaient rien, ni meubles, ni maisons, ni famille.
Le pays était si ruiné que même la bonne parole était rare.
Quant à ces quelques enfants revenus, dont je fais partie, ni l’école, ni la faculté de médecine, ni la mairie, ne pouvaient rien pour nous.
En 1946, nous avons commencé notre reconstruction avec les outils que nous possédions. C’était mince ! Mais aucun de nous n’a mal tourné, même lorsque la pauvreté s’était installée au logis.
Nous vivons en ce moment une période angoissante. Nous savons qu’il y aura de nouveaux attentats, mais où, quand, comment ?
Malgré tout, il faut vivre. Notre pays est une démocratie laïque et nos actions doivent l’affirmer chaque jour.
Il est certain qu’il m’arrive de penser que quelques-uns de ces gamins si sympas qui m’accueillent au collège peuvent basculer dans l’horreur.
Après tout, les bourreaux des camps sortaient des entrailles d’un grand peuple et maniaient le gourdin comme des voyous. Mais ils ne voulaient pas mourir.
Le nouveau danger est que ces jeunes dévoyés veulent mourir en martyrs.
Nous, nous savons bien que cette sorte de martyrs, cela n’existe pas.
Alors, mes chers camarades, mes chers amis, gardez le moral, tenez bon.
Un jour ou l’autre, on finira par s’en tirer.
Je vous remercie.
F.C.